Aux Arcs la Compagnie des Alpes réinvente la montagne de demain
- bclinfos
- 17 mai
- 8 min de lecture

Dans un contexte où la montagne est confrontée à des défis climatiques, économiques et sociétaux majeurs, la Compagnie des Alpes engage une transformation profonde de sa stratégie. Loin de se cantonner à l’exploitation de domaines skiables, elle affirme aujourd’hui une posture nouvelle, où l’investissement dans l’humain, la biodiversité et l’habitabilité des territoires devient aussi stratégique que le rendement financier.
Cette mutation se traduit par des engagements concrets, tels que l’atteinte du Net Zéro Carbone d’ici 2030, la participation à des programmes de restauration écologique comme Nature 2050, et le développement de partenariats industriels pour la production de dameuses électriques dans les Alpes françaises. Rencontre avec David Ponson, Directeur de la Division Montagne et activités outdoor de la Compagnie des Alpes, qui nous éclaire sur cette métamorphose silencieuse mais décisive.
De l’exploitation au partenariat territorial : une stratégie d’enracinement
La Compagnie des Alpes (CDA) adopte une approche stratégique centrée sur le territoire, visant à renforcer ses ancrages historiques, en tant que partenaire actif du développement local. David Ponson souligne : « notre stratégie repose sur des choses très simples ». L’objectif premier est clair : « continuer à opérer sur les sites où nous sommes historiquement présents, dans une logique de partenariat avec les territoires ». Il s’agit de bâtir des relations de confiance durables avec les élus, les collectivités locales et les forces vives de chaque territoire. Il s’agit d’une stratégie d’enracinement fondée sur la coopération étroite avec les collectivités locales, les élus, les services publics, les forces économiques et sociales des vallées. Loin d’imposer une feuille de route descendante, la CDA privilégie une logique de concertation territoriale qui place l’écoute et la co-construction au cœur du processus de décision.
Cette stabilisation repose sur une vision d’avenir partagée : « Quand la décision des élus est de poursuivre, on continue. Quand ce n’est pas le cas, on assume, on accepte, et puis on passe à autre chose », souligne-t-il. Ainsi, la Compagnie des Alpes se positionne comme un véritable co-acteur du développement local, capable d’inscrire ses investissements dans des besoins essentiels et stratégiques : logement saisonnier, production d’énergie renouvelable, préservation de la biodiversité, mobilité durable.
À travers cette posture, la CDA entend sécuriser ses implantations historiques en les rendant plus résilientes, plus adaptables, et plus contributives au bien commun territorial. Des exemples concrets illustrent cette dynamique, comme aux Arcs et à La Plagne, où des programmes de modernisation des infrastructures énergétiques, de protection de la faune alpine et de création de logements pour travailleurs saisonniers ont été menés en étroite collaboration avec les autorités locales.
Réconcilier la performance et la proximité
David Ponson répond avec émotion et lucidité aux critiques parfois adressées à la Compagnie des Alpes, notamment sur une supposée déconnexion vis-à-vis des territoires de montagne. Loin d’éluder ces remarques, il les accueille avec franchise : « Je suis très attaché à cette entreprise, et je ressens parfois une forme d’injustice dans certaines critiques. Nous sommes présents, engagés, enracinés. »
Il revendique un ancrage réel, bâti au quotidien à travers les collaborations avec les élus, les habitants, les acteurs socio-économiques et culturels. « Nous n’avons jamais été aussi proches des territoires que nous le sommes aujourd’hui », affirme-t-il, rappelant les investissements continus dans le logement saisonnier, la transition énergétique ou la biodiversité.
Cette réponse reflète une posture de capitalisme engagé, dans laquelle la performance économique ne s’oppose pas à l’utilité territoriale. David Ponson assume pleinement cette dualité : « Il faut cesser d’opposer rentabilité et engagement. Oui, nous devons être performants économiquement, mais cela ne nous empêche pas d’avoir une éthique territoriale forte. Valoriser les réussites dans la montagne, c’est aussi encourager l’innovation et la pérennité. »
Dans un secteur souvent scruté pour son empreinte environnementale ou son impact foncier, cette déclaration invite à dépasser les visions simplistes. Elle pose une question de fond : peut-on conjuguer entreprise, efficience et régénération ? Pour la Compagnie des Alpes, la réponse est clairement affirmative, mais elle suppose une transformation profonde du rapport aux territoires et une volonté constante de remise en question.
Europe : un terrain de jeu réévalué
Sur le plan géographique, la Compagnie des Alpes concentre désormais son développement sur le continent européen. « Nous sommes passés d’une zone très large à un focus sur l’Europe », explique David Ponson. En dehors de l’Europe, seules des missions d’ingénierie et de conseil sont envisagées, sans prise d’opération directe. Ce recentrage stratégique vise à renforcer la cohérence des actions, à capitaliser sur une connaissance approfondie des territoires alpins et à garantir une meilleure adaptabilité aux enjeux locaux.
Ce choix n’est pas synonyme de repli. Au contraire, il permet au groupe de rester connecté à une diversité d’écosystèmes montagnards au sein du continent, et de s’enrichir en permanence des bonnes pratiques du métier, qu’il s’agisse de gestion environnementale, d’innovation touristique ou de gouvernance partagée. Le dialogue avec d’autres opérateurs européens reste un levier essentiel d’amélioration continue et d’ouverture stratégique.
Ce repositionnement s’accompagne également d’une volonté claire de diversification. L’acquisition récente d’Évolution2, un réseau spécialisé dans les activités de pleine nature (hors ski), illustre cette ouverture vers une offre touristique plus large, intégrant randonnée, VTT, alpinisme, parapente ou encore activités aquatiques estivales. Cette démarche traduit l’ambition du groupe d’accompagner la transformation des stations vers une montagne plus résiliente, plus inclusive et moins dépendante du ski alpin seul.
La feuille de route régénérative: au-delà de la simple transition
Depuis 2021, la Compagnie des Alpes a franchi une nouvelle étape en formalisant sa « raison d’être » et en publiant une feuille de route régénérative pour la Division Montagne et activités outdoor. « Cette feuille de route vient compléter toute la réflexion stratégique et notre positionnement. Elle est issue de nos convictions propres », explique David Ponson.
Mais que signifie exactement adopter une démarche régénérative ? Contrairement à une stratégie de simple transition, qui vise à limiter les impacts environnementaux, la démarche régénérative, inspirée des modèles agricoles et urbains durables, cherche à réparer, renforcer et faire prospérer les écosystèmes humains et naturels. Il s’agit de redonner vie, de réactiver les dynamiques naturelles et sociales, et de favoriser l’émergence de territoires plus résilients.
Pour la CDA, cet engagement se traduit par des actions concrètes :
Protection active de la biodiversité : mise en place d’observatoires environnementaux pour suivre et préserver la faune et la flore locales.
Gestion durable de l’eau : optimisation de l’utilisation de cette ressource critique en montagne, notamment par la modernisation des systèmes d’enneigement.
Sobriété énergétique : transition vers des énergies renouvelables et amélioration de l’efficacité énergétique des infrastructures.
Mobilité douce : développement de solutions de transport respectueuses de l’environnement pour réduire l’empreinte carbone des visiteurs.
« Cette stratégie est aussi faite de « oui mais », avec des renoncements assumés », précise David Ponson. Le groupe accepte ainsi de renoncer à certains projets ou modes de développement jugés incompatibles avec sa vision à long terme. Par exemple, la CDA a décidé de ne pas poursuivre l’extension de domaines skiables ou la création de nouvelles stations de ski qui ne garantiraient pas une part significative de neige naturelle.
Un nouvel aménagement du territoire: vers une montagne habitable
La Compagnie des Alpes participe activement à la redéfinition du rôle des stations de montagne, en y intégrant une vision beaucoup plus globale et durable. « Nous avons réussi à développer plusieurs projets en intégrant des dimensions complémentaires qui n’étaient pas présentes par le passé », explique David Ponson.
Désormais, la montagne n’est plus seulement perçue comme un simple terrain de loisirs hivernaux. Elle devient un espace de vie durable, capable d’accueillir des résidences principales, de gérer ses ressources de manière pérenne et d’attirer de nouveaux habitants en quête d’une meilleure qualité de vie et d’un environnement préservé.
La notion d’habitabilité s’impose ainsi comme une boussole centrale dans les projets d’investissement. Cela implique d’aller bien au-delà du ski pour intégrer les défis liés au logement accessible, à l’énergie renouvelable, à la gestion intelligente de l’eau et à la biodiversité. Il s’agit de rendre la montagne résiliente face aux aléas climatiques tout en la rendant désirable pour les générations futures.
Comme le souligne David Ponson, cette orientation répond aussi aux aspirations profondes des jeunes générations : « Il faut trouver des récits positifs qui nous inspirent et qui donnent envie de construire demain ». C’est en inventant de nouveaux récits de territoire que la montagne pourra continuer à séduire, non seulement comme destination touristique, mais aussi comme lieu de vie durable.
Une vision confortée par les données de terrain: l’étude ObSoCo
Pour appuyer cette transformation stratégique, la Compagnie des Alpes s’est dotée d’outils d’analyse approfondis. Parmi eux figure une étude majeure conduite par l’Observatoire Société et Consommation (ObSoCo), spécifiquement élaborée pour cartographier et comprendre les dynamiques des territoires de montagne. Cette enquête propose une typologie inédite des communes supports de stations de ski, en croisant 26 indicateurs statistiques couvrant les dimensions touristiques, économiques, résidentielles, environnementales et démographiques.
L’étude identifie quatre grandes familles de territoires alpins : les stations très touristiques à forte pression foncière et démographique ; les territoires intermédiaires en quête d’équilibre entre attractivité et résilience ; les stations vulnérables en déprise ou en déclin démographique ; et enfin les territoires à dominante résidentielle mais peu structurés économiquement. Ces profils révèlent une grande hétérogénéité dans la manière dont les territoires font face aux défis climatiques et économiques, et dans leur capacité à anticiper l’avenir.
Par exemple, seulement 37% des stations alpines bénéficient d’un niveau d’équipement en services de base (santé, éducation, mobilité) considéré comme satisfaisant pour une population à l’année. Par ailleurs, 60 % des communes étudiées affichent un taux de dépendance touristique supérieur à 50 %, les exposant fortement à la variabilité climatique et à la saisonnalité de la fréquentation.
L’étude met également en lumière la tension foncière croissante dans les zones les plus attractives : certaines communes affichent un taux de résidences secondaires dépassant 70%, posant la question de l’habitabilité réelle de ces territoires pour les populations permanentes et les travailleurs saisonniers.
En partageant ouvertement cette étude avec les élus et les partenaires, la CDA réaffirme son rôle d’acteur responsable et engagé. Cette posture de transparence et de mise en commun des données vise à nourrir une réflexion collective sur l’avenir des vallées alpines, dans une logique de planification territoriale partagée.
Loin d’un simple diagnostic, l’étude de l’ObSoCo est un outil stratégique puissant, qui éclaire les choix d’investissement, de diversification et de régénération portés par la Compagnie des Alpes.
Un leadership qui mise sur l’intelligence collective
David Ponson insiste : « La vraie richesse du groupe, ce ne sont pas les télésièges ou les actifs, ce sont nos collaborateurs, totalement engagés (parfois trop !) ». Cette vision traduit une profonde conviction : l’avenir des territoires de montagne ne pourra se construire sans l’énergie collective, la passion et l’engagement des femmes et des hommes qui y vivent et y travaillent.
Dans un environnement où les défis exigent innovation et agilité, la Compagnie des Alpes mise sur un modèle managérial fondé sur l’intelligence collective. « Mon rôle, c’est de mettre en mouvement, d’enrichir le contexte, d’alimenter les débats sans formater les pensées », affirme David Ponson. Il refuse une gouvernance verticale classique pour privilégier l’écoute, l’initiative et l’autonomie des équipes sur le terrain.
Cette philosophie s’appuie sur une conviction forte : pour faire émerger des solutions adaptées aux enjeux climatiques, sociaux et économiques, il faut favoriser la capacité d’adaptation locale, donner aux collaborateurs les moyens d’agir, de proposer, d’inventer.
Ainsi, les projets régénératifs développés dans les stations du groupe sont pensés avec et par les équipes locales, en co-construction avec les territoires. Ce management par la confiance permet de créer une dynamique créative, favorisant l’appropriation des projets par tous les acteurs du territoire.
Un changement de posture, et peut-être de modèle
Cette évolution annonce peut-être un changement de modèle économique : passer d’une entreprise fondée sur la propriété et la gestion d’actifs à un modèle post-industriel et serviciel, centré sur l’écosystème humain et territorial. Il ne s’agit plus seulement de vendre du ski, mais de co-construire une offre globale de montagne habitable : expériences tout au long de l’année, mobilités douces, tourisme responsable, habitat durable.
L’avenir de la montagne se jouera t’il dans une course à l’altitude ou aux infrastructures, ou dans sa capacité à devenir habitable, désirable, résiliente et inclusive ? Ce changement de paradigme mérite d’être scruté de près : il ouvre une brèche dans l’ancien modèle touristique et pourrait bien servir d’inspiration à de nombreux autres territoires d’altitude en Europe.
Comments